Il y a quelques temps, après un cours (qui avait plus ou moins mal tourné pour une de mes cavalières), j'ai eu une discussion qui m'a fait réfléchir... Réfléchir sur ma manière d'enseigner, sur ces comportements qui provoquent chez moi un agacement pratiquement incontrôlable et donc par voie de conséquence, des mots qui peuvent parfois (souvent) blesser celui ou celle à qui ils sont adressés mais qui ont pour but premier de faire réagir, puis réfléchir, la personne en question.
Je m'explique. Souvent je demande aux cavaliers pourquoi ils font telle ou telle chose. Cela peut être une action de main, de jambe, ou bien un exercice spécifique pendant leur détente, etc. J'ai besoin de connaître leur démarche, leur intention, le but recherché, quelque chose pour poser les bases du message que j'ai à faire passer.
Je suis mal habituée parce que j'ai éduqué mes cavaliers à réfléchir "cheval", donc quand je pose la question j'ai une réponse à peu près construite et qui a du sens, ensuite je n'ai plus qu'à expliquer pourquoi l'action n'était pas forcément judicieuse, ou peut être trop tardive ou trop précoce et que le cheval ne pouvait pas répondre correctement à cette demande parce qu'il lui manquait un paramètre pour "entendre" et "comprendre" ce qu'on lui voulait.
Bref, quand ça se passe comme ça tout va bien. La communication est établie entre le cavalier, son cheval et moi, chacun cherche à comprendre l'autre et à l'amener quelque part, condition sine qua non à la transmission de compétences équestres.
Le véritable problème se pose lorsque je récupère des cavaliers qui ont souvent des années de pratique mais "ailleurs". Et ce "ailleurs" je le déteste parce qu'il fabrique des cavaliers totalement inconscients des dégâts (oui oui, je dis bien des dégâts) qu'ils peuvent faire sur un cheval en toute "innocence", sans même se rendre compte qu'ils provoquent de l'incompréhension, du stress, du mal-être, de la peur et parfois même de la souffrance. Ces cavaliers, qui, quand je pose la question du pourquoi ils ont fait telle ou telle action me répondent "je sais pas", et qui, quand je cherche à aller plus loin, à les pousser dans leur retranchement pour les mettre face au problème se ferment totalement ou se mettent en colère.
Ces cavaliers qui me disent que quand il viennent faire du cheval ce n'est pas pour se prendre la tête car c'est leur loisir (LEUR loisir !!), cette réponse me rend tellement malade que je ne sais pas quoi leur répondre sans devenir complètement hystérique.
Depuis quand l'équitation est un "loisir" comme les autres ?? Qui a réussi à faire croire à tout le monde que le cheval peut être exploité comme un outil, qu'il n'a pas de capacité cognitive, de réflexion, qu'il n'a pas son propre ressenti concernant le monde qui l'entoure et les gens qui se succèdent sur son dos ??? Vraiment, il y a des gens qui croient que faire de l'équitation c'est comme faire du vélo ou du golf ?
Mais qui est capable de penser une ineptie pareille ??
Donc reprenons le problème depuis le début. Qu'est ce que l'équitation pour le cheval ? Lorsque je pose la question pendant mes cours (adultes hein, pour les enfants je m'y prends autrement), j'obtiens souvent ce genre de réponse : une contrainte.
UNE CONTRAINTE !
Donc mon loisir est une contrainte pour un autre être vivant, c'est ça que vous m'expliquez ?? Et les gens n'ont aucun problème avec ça ?? Un peu plus et on parlerait d'asservissement non ??? Il ne faut pas s'étonner que les partis animalistes aient le vent en poupe avec une telle manière d'appréhender notre rapport à l'animal dans un sport qui se veut proche de la nature et "éthique"... Tu parles d'une éthique !
En revanche, si vous posez la question à un cavalier professionnel (un bon professionnel hein, souvent les cavaliers de très haut niveau quelle que soit la discipline et bon nombre d'autres qui sont de vrais "Hommes" de chevaux), il vous répondra que pour son cheval l'équitation est une source de développement sur le plan intellectuel et musculaire et qu'il en retire souvent de la satisfaction car il a une relation de complicité avec son cavalier. Ces cavaliers créent une osmose avec leur cheval en établissant une communication qui leur permet à tous les deux d'évoluer vers des objectifs sportifs ou non d'ailleurs. Evidemment que les objectifs sont fixés par le cavalier, mais il ne faut pas croire qu'il les atteindrait sans l'adhésion sans faille de son partenaire équin, personne n'a jamais réussi à faire enchaîner un parcours à 1.60m ni 12 changements de pied au temps à un cheval par la force, JAMAIS.
Du coup, pourquoi cette notion de respect, d'échange, de partenariat et de communication n'est elle pas enseignée SYSTÉMATIQUEMENT aux cavaliers ? Quand on me dit "je suis pas là pour me prendre la tête" je dois répondre quoi moi ?? Donc si tu te prends pas la tête c'est ton cheval qui doit en subir les conséquences ??? Pour caricaturer, tu vas mettre un grand coup de talon à ton cheval parce qu'il n'a pas fait ce que tu voulais mais sans savoir si déjà il avait compris ta demande et donc à fortiori s'il comprendra la "punition" ?? Mais dans ce cas, ne viens pas monter sur mes chevaux !! Jamais de la vie ! Pourquoi auraient-ils à subir cela ? Monter sur un animal tel que le cheval ça se mérite, ça n'est pas parce que tu payes que tu n'as pas de devoir envers cet autre être vivant qui te porte et te supporte malgré tes actions inconséquentes et irréfléchies ! Il doit COMPRENDRE ce qu'il fait, et pour cela tu dois faire l'effort de te rendre compréhensible !
La moindre des choses quand on vient profiter de la bienveillance de cet animal est de lui témoigner du respect, et le premier des respects c'est d'essayer de comprendre comment il fonctionne, comment il réfléchit, comment il apprend, comment il interprète nos demandes et nos actions, non ??
Evidemment qu'il faut parfois les remettre à leur place, ce sont des mastodontes à côté de nous, mais cela doit être fait dans les règles de l'art, le cheval doit comprendre quelle erreur il a commise et y associer la "punition" qu'il reçoit. Punition qui n'a pas besoin d'être violente si le cheval a été éduqué depuis le début à gérer sa masse et sa force à côté d'un humain beaucoup moins résistant que lui. Hausser le ton, arrêter une action "volée" ou remettre le cheval à sa place initiale (avant l'erreur) suffit souvent à lui faire comprendre qu'il n'a pas donné la bonne réponse au problème qu'on lui a posé.
S'agiter, s'énerver, recommencer X fois de la même manière en attendant une réponse différente est non seulement inutile mais en plus complètement idiot si l'on sait comment fonctionne/réfléchit un cheval. Cela revient à penser qu'il va faire une déduction dont il est strictement incapable, comme je le répète souvent à mes élèves, le développement du cerveau du cheval correspond à celui d'un enfant de 5 ans ou à peu près, ça n'est pas Einstein !!! Il ne peut pas deviner (ou plutôt déduire par la réflexion) d'où vient le problème, c'est à nous de le déterminer et de lui décomposer le travail en petite séquences qu'il peut comprendre et assimiler.
Donc au lieu de se dépêcher, de s'agiter, de tout mélanger et de tout "exiger" en même temps, il serait bon de se demander :
- Qu'est ce que je veux obtenir ?
- Comment je peux décomposer cet objectif ? Quelles en sont les étapes successives ?
- Comment je vais faire comprendre chaque étape à mon cheval (quelles aides utiliser ?)
- Comment mon cheval peut-il comprendre ma demande ? En d'autres termes, y a t'il une possibilité qu'il interprète mal ma demande ?
- Comment modifier ma demande afin d'ajuster la réponse du cheval ?
- Comment faire comprendre à mon cheval qu'il a donné la réponse juste afin qu'il l'assimile et la reproduise à chaque demande identique ?
Donc oui, en effet, il faut un minimum "se prendre la tête", l'équitation est un sport de réflexion avant tout mais ça, peu de personnes veulent l'entendre. Aucune instance ne veut non plus prendre en compte, je veux dire VRAIMENT prendre en compte le deuxième être vivant impliqué dans ce sport, dans ce "loisir".
A la base l'Equitation est un Art, cet Art était auparavant réservé aux riches, à l'aristocratie, aux rois, etc. Ces derniers prenaient des leçons auprès d'écuyers qui ne les ménageaient pas, même une tête couronnée pouvait se faire remonter les bretelles pendant ses séances d'équitation. Le cheval a souvent été considéré comme un Etre sacré, supérieur, imposant le plus grand respect à chacun.
Cet Art s'est ensuite transformé en sport, ce sport s'est démocratisé et aujourd'hui il s'est peu à peu transformé en loisir. Ce loisir a dégénéré au point que plus grand monde ne s'inquiète de la qualité de l'enseignement, chacun croit qu'il peut "faire du cheval" comme on "fait du vélo" ou de la trottinette... Et surtout, personne n'ose affirmer le contraire car il ne faudrait pas empêcher de tourner le business de "la planète cheval"
En conclusion, même si ça me coûte quelques "clients", je continuerai à essayer de faire comprendre au cavalier qu'il doit plus au cheval que ce que le cheval ne lui doit, en d'autres termes qu'il paye pour être redevable... Redevable de respect, redevable de bienveillance, redevable de réflexion, redevable de volonté de bien faire pour créer une véritable communication et faire en sorte que le cheval passe lui aussi un moment agréable avec son cavalier.
Les chevaux aiment le contact humain, ce sont des animaux extrêmement bienveillants et sociables, ils apprécient "l'équitation" lorsque celle-ci est pratiquée avec la volonté et la capacité de se "livrer" complètement à eux, sans faux semblant, sans posture, sans égo. A partir de là, l'échange peut avoir lieu et certains moments deviennent tout simplement magiques...