AVERTISSEMENT

Je tiens à préciser pour les personnes qui auraient du mal à comprendre la démarche d’un blog (flatter l’égo démesuré de l’auteur, partager ses névroses, faire pleurer dans les chaumières, passer ses nerfs, raconter des conneries, informer un peu, se marrer beaucoup, toussa), que tout ce qui est écrit ici – non seulement n’engage que moi – mais surtout, que tout ce qui y est raconté est bien évidemment purement fictif. Par là j’entends que ces récits, satires, pamphlets, anecdotes (lorsqu’ils ne sont pas tirés d’ouvrages extérieurs) sont inspirés de faits réels mais sont, comme vous l’aurez tous compris, racontés à travers le filtre d’une imagination débordante et d’un esprit, je m’en excuse, légèrement névrosé.

lundi 17 octobre 2011

La communication (1)


Ce billet fait suite à un billet du docteur Borée qui m'a fait réfléchir sur la difficulté qu'ont les gens à communiquer en général. Cela m'a rappelé que pendant longtemps j'ai eu moi-même beaucoup de mal à communiquer du fait d'une trop grande pudeur contre laquelle il m'arrive encore aujourd'hui de lutter.


Il était une fois, il y a trèèèèèèèès longtemps, j'étais une petite fille.


Oui, bon, normal me direz-vous.


Non, mais une petite fille trèèèèèèèèèèèèèèèèèès timide.


Oui, je sais, ceux qui me connaissent auront du mal à le croire mais c'est pourtant le cas. J'étais tellement timide qu'un jour je n'ai même pas réussi à dire merci à ma grand-mère qui m'avait ramené une friandise du marché. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais au moment où j'aurais eu envie de le dire ça n'est pas sorti et ensuite ça me paraissait tellement incongru que malgré les remontrances de ma mère je n'ai jamais réussi à faire sortir ce mot de ma bouche. J'étais vraiment toute petite, j'ai très peu de souvenirs de mon enfance, mais ça, je m'en souviens vraiment très bien. C'est un souvenir d'ailleurs assez douloureux.

Pendant longtemps je me suis demandé ce qui n'allait pas chez moi, tout ce qui était un peu personnel, un peu intime, pas moyen de le partager. Et pire, pas moyen que quelqu'un partage cela avec moi, ça me mettait tellement mal à l'aise que ça me donnait envie de m'enfuir. Un peu comme ces situations tellement ridicules dans les films ou les séries à la télé que vous avez envie de changer de chaîne pour ne pas y assister. Un vrai bon blocage quoi.

Cette situation a perduré si je me souviens bien, à peu près jusqu'au début de mon adolescence. Ne surtout pas se faire remarquer. En tous cas, surtout pas dans le mauvais sens, dans le bon ça ne m'aurait pas dérangé, essayer de suivre la norme, faire comme tout le monde ou un truc du genre, je ne m'en souviens plus très bien. Je n'étais ni grosse ni maigre, ni grande ni petite, assez bonne élève mais pas non plus excellente, j'avais des "amis" à l'école mais c'était des amis d'école, rien de personnel en fait. Je me rends compte que j'étais seule et que ça ne me dérangeait pas plus que ça, je me suffisait bien à moi même, j'avais la lecture, et à partir de 10 ans j'ai eu l'équitation, mon cheval me servait de confident, même si je ne ressentais pas le besoin de lui confier quoi que ce soit, tout allait bien en fait ! J'étais plutôt la confidente de mon cheval.

C'est drôle de dire ça. J'ai commencé l'équitation très tard mais j'ai progressé extrêmement vite, on m'a alors attribué un cheval un peu difficile pour voir... J'en suis immédiatement tombée amoureuse, il avait tout pour fasciner une petite fille, il était noir avec une pelote en forme de lune sur la tête, il était ombrageux et extrêmement méfiant au box. Il  m'a donc fallu l'apprivoiser. J'avais une sorte de facilité à cheval, j'ai donc eu peu de problèmes pour m'en faire un allié quels que soient les exercices demandés du moment que j'étais dessus. Je sentais bien qu'il s'inquiétait dès que quelque chose le bloquait, et même si c'était totalement inconscient, je le montais donc avec des aides extrêmement fines et surtout très peu de main, il ne supportait pas de se sentir pris. Je l'avais déjà vu devenir complètement ingérable avec d'autres cavaliers, dès qu'il sentait les rênes se raccourcir et la pression du mors sur sa langue il fuyait, tout droit, sans se soucier de ce qui se trouvait devant lui, cela provoquait pas mal de chutes car plus on tirait sur les rênes et plus il accélérait, c'était un cercle vicieux...

C'est ce cheval qui a commencé à m'éduquer à la communication, il me montrait son mal être, pas d'apparence, pas de faux semblants, les chevaux ne savent pas faire ça, il était ce qu'il était et il fallait faire avec, l'aimer ou non, ça ne changeait rien à son fonctionnement. J'ai passé beaucoup de temps avec lui, il avait été maltraité à priori, ou du moins violenté lors du débourrage ce qui provoquait des réactions de peur mais il n'était pas dangereux, ni méchant, il évitait simplement le contact. Je pense aussi que les enfants lui faisaient beaucoup moins peur que les adultes, voilà pourquoi il s'était retrouvé là, dans un club. A cette époque je passais ma vie au centre équestre, je traînais tout le temps dans les pattes des moniteurs, je paillais les box avec eux le matin, j'étais dans le bureau pour aider à cocher les cartes d'adhérents... J'avais d'ailleurs par la même, une très bonne représentation des relations sociales entre adultes : les moniteurs, l'instructeur, le cavalier pro, les propriétaires, ... J'ai appris beaucoup en les observant et même si je ne m'en rendais pas compte, c'est là que j'ai emmagasiné tout ce qu'il fallait savoir ou presque à propos des relations sociales sans encore savoir m'en servir, un peu comme un enfant qui ne se met à parler que lorsqu'il est sûr qu'il connait et maîtrise tous les mots et expressions dont il va avoir besoin. 

Attention, je ne suis pas une sociopathe hein, les sociopathes ne ressentent rien et font semblant, moi c'était l'inverse, je ressentais les choses de manière intenses et claires mais je n'avais aucun modèle qui me permettait de savoir comment les exprimer. Toutes ces choses ne me paraissaient pas à leur place dans le contexte qui m'entourait, je n'avais pas de mots qui soient adéquats, qui correspondent à la situation sans paraître complètement incongrus, enfin, c'est ce qu'il me semblait.

Pour en revenir à ce cheval, j'avais donc tout le loisir de passer du temps avec lui. Quand je n'étais pas avec  les moniteurs à apprendre à longer, seller, faire les cuirs, ranger les selleries et tout le reste, j'étais dans son box ou en train de le faire brouter. Ma mère travaillait très tôt le matin, donc quand je n'allais pas à l'école, elle m'emmenait au centre équestre avant 7h, il n'y avait que les palefreniers à cette heure là. L'odeur et l'ambiance qui règne dans une écurie à cette heure matinale est indescriptible, c'était le paradis pour moi, le bruit des chevaux qui fouillent dans la paille pour ramasser les derniers grains échappés de la mangeoire, leurs ébrouements, les petites oreilles qui se pointent à mon passage... Je prenais donc mon "patient" au licol et je l'emmenais brouter l'herbe fraîche du matin autour du château qui servait aujourd'hui de centre équestre, j'adorais ce moment, les biches ou chevreuils et lapins étaient souvent dans le parc et comme je ne bougeais pas (j'étais à cru sur son dos ou assise un peu plus loin), ils s'approchaient vraiment tout près, c'était vraiment magique. Rancio avait appris à apprécier ces moments, au début il se demandait un peu ce qu'il faisait là, mais avait vite pris le parti de profiter de l'herbe grasse et recouverte de rosée de ces sorties matinales.

Sa docilité était maladive, la porte de son box restait ouverte, il n'osait même pas sortir la tête pour regarder dehors, il restait au fond de son box en se demandant ce qui allait bien pouvoir passer la porte. Au début, j'étais dans le box avec lui et je laissais ouvert juste le temps d'aller chercher quelque chose, je trouvais cela pratique mais au fur et à mesure je me suis rendu compte que ce n'était pas du respect. Un cheval respectueux s'approche de la porte, regarde ce qui se passe mais ne sort pas, ou du moins pas tout de suite. Lui, il ne s'approchait jamais de la porte, au contraire, le fait qu'elle soit ouverte avait l'air de l'inquiéter plus que de l'intéresser. J'avais donc pris l'habitude, entre midi et deux, lorsqu'il n'y avait plus personne de lui laisser la porte ouverte, la plupart du temps j'étais avec lui mais il m'arrivait d'aller dans la sellerie ou au bureau sans me soucier de la refermer. Evidemment, au bout de quelques semaines, c'était pendant les vacances la plupart du temps, il avait bien dû se rendre compte que rien ne se passait même lorsque sa porte était ouverte et il commençait à s'intéresser timidement à ce qui pouvait bien se passer là derrière. Un jour, j'eu donc la surprise de voir poindre de bout de son nez à la porte du box, j'étais au bout de l'allée et je me mis donc à l'observer, j'étais comme remplie d'une sorte de joie indescriptible, l'émotion et la sensation d'assister à quelque chose d'exceptionnel : la libération d'un esprit. Il commençait à comprendre que ce qui l'entourait ne faisait pas que l'atteindre, il pouvait lui aussi atteindre ce qui l'entourait, devenir acteur en fait. 

Je n'avais bien évidemment pas conscience de tout ça, je n'avais qu'une quinzaine d'années et je n'avais aucun mot pour décrire ce que je ressentais, mais c'était vraiment extraordinaire. La "récompense" arriva bientôt, même s'il n'y avait eu aucun travail, seulement de la patience sans aucune attente de résultat étant donné que je n'avais même pas conscience de ce qui s'accomplissait devant mes yeux. Deux anecdotes me viennent à l'idée, je ne sais pas dans quel ordre chronologique ces évènement sont arrivés, mais je pense qu'ils témoignent de la même chose.

La première s'est passée dans les écuries, encore une fois j'avais laissé la porte du box ouverte et j'étais partie je ne sais où, peut être m'amuser avec les amis que j'avais commencé à me faire au centre équestre, on pique-niquait sur les roumballers de paille (oui je sais c'est très dangereux mais à l'époque on ne le savait pas encore). Je passais régulièrement devant le box pour faire une caresse à Rancio qui avait maintenant toujours la tête dehors ou bien pour lui donner un morceau de mon sandwich ou bien quelque chose de plus approprié si j'avais ça sous la main. Il se trouve que cette fois je trouvai le box vide... Après la première angoisse, c'était quand même une "bêtise" de faire échapper un cheval, je me dirigeai dehors avec un licol pour voir où la curiosité de mon ami avait bien pu l'amener. Commençant à le connaître un peu, j'étais persuadée qu'il n'était pas parti bien loin, il avait mis presque un an à apprivoiser le mètre carré devant son box alors j'imaginais mal qu'il soit parti à l'aventure sans prendre quelques précautions préalables... Je le retrouvais donc sur les plates-bandes d'herbe juste devant la sortie qui était à quelques mètres de son box, il broutait calmement et ne s’inquiétât en aucune façon de ma venue (la plupart des chevaux se seraient certainement enfuit). Je le caressai donc en lui disant que ça ne  se faisait pas de sortir comme ça, sans prévenir, et que malheureusement, à partir d'aujourd'hui, il faudrait que je lui mette une petite chaînette en travers de la porte pour qu'il ne puisse pas partir à la découverte du monde tout seul ! Ça y est, le pas était franchi, la peur n'était plus là. C'était un grand pas, mais je devrai dorénavant prendre mes précautions avec cette porte... 

La seconde est encore plus amusante pour moi étant donné que j'ai vraiment assisté à une scène magnifique. Lorsque je ne montais pas sur son dos pour le faire brouter, je lâchais Rancio pour qu'il puisse vaquer à son occupation préférée sans que je sois obligée de le suivre dès qu'il s'intéressait à une nouvelle touffe d'herbe quelques mètres plus loin, au début il restait brouter à mes pieds, littéralement, puis petit à petit il avait commencé à s'éloigner de plus en plus.

Un matin d'automne, sûrement pendant les vacances de la Toussaint, nous étions donc tous les deux seuls, dans le grand parc à l'arrière du château. Il y avait encore un peu de brume et il ne faisait pas tout à fait jour, l'ambiance était vraiment particulière avec tous ces arbres autours de nous, les lumières des lampadaires de la route au loin de l'autre côté du parc donnaient un éclairage presque irréel. Rancio était "frais" comme on  dit dans notre jargon, il était un peu émoustillé par la fraîcheur et l'ambiance, je sentais bien qu'il allait se passer quelque chose mais j'avais assez confiance en lui pour tenter l'expérience tout de même, et surtout je voulais savoir ce qu'il allait faire. Il n'y avait pas vraiment de danger, la route était loin et je savais que s'il venait à s'enfuir il n'irait de toutes façons pas la traverser aujourd'hui, j'avais la conviction qu'il resterait dans le parc quoi qu'il puisse se passer. Je le lâchai donc... Après quelques pas pour tâter le terrain, je le vis tout à coup relever la tête, mettre la queue en panache et partir au trot passagé (un trot avec énormément de rebond que les chevaux font souvent en liberté pour se pavaner, faire les beaux quoi). Je n'étais tout de même pas tranquille, j'avais surtout peur de me faire enguirlander si quelqu'un voyait que je l'avais "échappé" ; mais bon,  c'était aussi une excuse, ça arrive d'échapper un cheval, personne n'était censé savoir que je l'avais sciemment libéré ! Tout ce que je voulais, c'était qu'il ne se fasse pas mal, mais il n'y avait pas vraiment de raison... 

Le parc était immense, rempli d'arbres et d'obstacles de cross, il y avait également une piste de galop, j'avais une excellente vue puisque Rancio était entre moi et les lumières de la route, je le voyais comme une ombre dans la brume en train de s'éloigner. Il avait pris le galop et la piste qui allait avec, il avait l'air de s'en donner à coeur joie mais je n'en profitais pas car l'angoisse m'étreignais, si quelqu'un voyait ça, je n'aurai sûrement plus l'occasion de le sortir par la suite... J'attendais donc qu'il "jette son feu" tout en espérant qu'il reviendrait vers moi au lieu d'aller vers les écuries une fois qu'il se serait bien défoulé, ces quelques minutes me semblèrent un éternité. Je n'ai pas de souvenirs clair de ce qui s'est passé ensuite, il me semble qu'il s'est arrêté dans une partie du parc pour brouter et que je suis allée le récupérer là-bas, il a fait mine une ou deux fois de repartir en s'éloignant au petit trot puis j'ai quand même fini par réussir à lui remettre sa longe. Il me faisait comprendre que dorénavant il était libre et que l'emprise que j'avais sur lui, c'était lui qui me la concédait, je n'étais plus son maître (ce que je n'avais d'ailleurs jamais voulu être), j'étais son égale. Il se soumettait parce qu'il m'aimait bien et que ma présence lui était agréable, mais je sentais bien qu'il avait sa propre volonté et que je n'étais pas à l'abri d'une incartade si l'envie lui en prenait.

S'en était fini de la liberté du matin, du moins, pas sans avoir au préalable fait son petit tour dans le manège pour se défouler afin qu'il ne lui prenne pas l'idée d'aller à la découverte des grands pare-feu de l'autre côté de la route... Beaucoup trop dangereux mon ami !

J'ai quelques autres anecdotes à son sujet mais ce n'est pas vraiment ça l'important, j'ai l'intime conviction aujourd'hui, en écrivant ces mots, que c'est cette relation et tout ce qui a tourné autour qui ont fait sauter le blocage que j'avais. J'ai suivi les mêmes étapes que Rancio, je me suis rendu compte que je pouvais avoir une emprise sur ce qui m'arrivait et sur ce qui m'entourait, je me suis rendu compte qu'on pouvait m'aimer pour ce que j'étais et non pas pour ce que je paraissais être et que c'était le fait d'être vrai dans ses actes et dans ses paroles qui permettait de construire des relations avec autrui.


7 commentaires:

  1. Très jolie histoire.... Quand je disais que les chevaux avaient quelque chose de magique pour ceux qui prennent le temps de les aimer !

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  2. Coucou, Je lis ce blog depuis quelques temps maintenant (en commençant par la fin évidemment), et je me contentais jusqu'à maintenant de cocher les cases "passionnant", "intéressant" ou "amusant" mais cet article, il a vraiment quelque chose de spécial, je me suis dit il FAUT que je commente. Tu as une façon d'écrire absolument fascinante, je ne sais pas si c'est parce que je m'identifie aussi un peu à la jeune fille réservée que tu étais (vu que je le suis aussi mais ça de mieux en mieux, je me soigne) mais cet article m'a absolument transportée. Pendant quelques instants, j'avais l'impression d'y être, de voir les progrès de ce cheval, la confiance en lui, en les autres, en l'extérieur qu'il prenait, tes changements à toi était miens enfin bref pendant quelques instants j'ai été heureuse en lisant tes lignes. Félicitation, tu as une écriture plus qu'agréable à lire et on sent ton amour pour les chevaux à travers ton blog. Plus j'avance, plus j'apprécie. Continue, c'est vraiment extraordinaire et on apprend beaucoup.

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  3. Merci Léa pour ce très joli commentaire, je n'ai pas trop de temps à consacrer à ce blog en ce moment mais cela me fait très plaisir quand quelqu'un comme toi passe et me laisse un petit mot. Cela me donne encore plus envie d'écrire de nouveaux billets :) J'espère pouvoir m'y remettre dans quelques jours. A bientôt !

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  4. Très joli, très émouvant...

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  5. Je suis tombée par hasard sur ce blog en surfant sur le net... le 1er article (le plus récent) m'a plus, je me suis donc mise à en lire d'autres.
    Finalement, je suis repartie au début de l''histoire. Et je sens que je vais dévorer le blog en entier.
    J'aime l'écriture, les anegdotes...
    Cet article m'a fait un je ne sais quoi qui m'a donné l'impression de retrouver certais traits de ma personnalité.
    Et je touve cette histoire avec Rancio très touchante, il falait que je commente, même pour ne rien dire de particulier, simplement que ça m'a touché!

    Je retourne à ma lecture!

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    1. Merci pour ton passage, vos commentaires à tous me touchent beaucoup et si en plus ce blog peut servir à faire du bien alors je n'en suis que plus heureuse. Bonne lecture :)

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